mercredi 18 mars 2015

Le retour de Baraka

Après avoir quitté Ahmed M., on fait quelques emplettes et, regagnant le Jardin de la Paix (la cantine pour expats' des ONG et touristes) pour notre dîner, on voit de jeunes types très excités escalader les poteaux électriques pour y tendre des banderoles de tissu orange à longueur de boulevards.
Des bagnoles fatiguées pavoisées sillonnent alors Moroni à toute allure en klaxonnant. Conducteurs et passagers vêtus d'orange agitent des drapeaux. De jolies gazelles en équilibre précaire, fessier sur la portière, crient leur bonheur: leur champion revient plus tôt que prévu !

Baraka était en France depuis trois semaines. Pourquoi ce retour précipité ? Un vénérable "foundi",exégète musulman unanimement respecté, vient de rendre l'âme. Il est impératif que tous les politiques soient présents lors de ses funérailles. Le candidat orange et son escorte regagnent donc en toute hâte Moroni. Or, les bisbilles politiques à Moroni, il y a quelques années encore, ça se réglait à l' AK-47 Kalashnikov, on bouclait parfois un quartier "dissident", il y avait des bavures etc. Je me reporte aux notes de mon carnet Moleskine 2010 pour l'ambiance ce soir là.

"Tension perceptible durant la soirée. Serveur et passants devant le restau'. Comment l'Albinos va-t-il accueillir son adversaire ? Le lendemain sur la corniche, nous verrons passer toutes sirènes hurlantes des "command-cars" de la Police encadrant le convoi de Baraka...
Quelle différence avec "le Parrain" ? Les "padrone"  comoriens roulent ,eux aussi, en Lincoln mais ce sont des 4 x 4 "Navigator" noirs à vitres fumées. Tout comme les pick-up japonais de la Police à la pimpante livrée "havane" métallisée, ces rutilantes voitures "officielles" sont souvent dépourvues de plaque minéralogique. Signe d'une époque moins troublée que naguère ? Les hommes de l'escorte sont légèrement armés, quelques armes de poing restant à la ceinture, aucun AK-47 brandi vers le ciel."

L'élection ? Jetons dessus un voile pudique...Baraka l'emportera avec un slogan "La paix d'abord" qui ne l'empêchera pas de gagner assez vite le surnom de "catcheur-boxeur". Ses contradicteurs ont intérêt, semble-t-il, à maîtriser les règles du "Noble art" du neuvième Marquis de Queensberry: ses meetings tournent parfois au pugilat y compris à Aubervilliers en septembre dernier par exemple.

Ah, oui ! Un Lincoln "Navigator" avec son moteur V8 de 300 CV vaut en 2010 entre 60 000 et 70 000 US $. Ce tank consomme entre 15 et 20 litres de "SP 98" au 100 km. Le revenu moyen annuel aux Comores à la même époque est "estimé" à environ 600 $ selon la méthode Atlas de la Banque Mondiale en l'absence de stats' fiables depuis 2005 !



1 Président et 4 Gouverneurs moins 1

On finit par se poser dans un petit snack sur le port pour un repas rapide accompagné d'un soda. Lézardant en terrasse, j'entends un Comorien à l'intérieur du bar faire un topo bien carré sur la situation politique et économique locale et les enjeux de l' élection toute proche du président de l'Union et des gouverneurs de chaque île.
Son français est excellent contrairement à celui de son interlocuteur, un Anglo-saxon. Le Comorien inconnu ? C'est le correspondant de RFI aux Comores, Ahmed M. , je le rencontrerai pour de bon le lendemain grâce à Abi, son frère, ancien étudiant à Nantes et donc supporter à tout jamais des Canaris. Question foot pourtant l'archipel tient en général pour l'OM avec quelques rares dissidents pro-PSG...


Ahmed me confie alors qu'hier, comme cela lui arrive assez souvent, on l'a prié d'éclairer la lanterne d'un haut fonctionnaire  envoyé par un organisme international pour une virée de quelques jours dans l'archipel. Ces experts en mission d'évaluation rencontrent dix ou quinze Comoriens "représentatifs", rédigent un rapport puis s'envolent vers l'Europe, le Japon ou les USA. Ahmed ne se fait plus aucune illusion sur les retombées concrètes de ces visites. Il ne leur en veut même pas à ces Wazungu en tournée pétris de bonnes intentions: "Comment pourraient-ils comprendre en si peu de temps ce qui ne va pas ici ? Nous-mêmes ? On y arrive à peine !"


Il s'agit donc de renouveler les gouverneurs d'Anjouan, Moheli et Ngazidja et le Président de l'Union. A Mayotte ? Pas d'élection bien évidemment: c'est une Communauté territoriale d'Outre-Mer et donc de facto un confetti ultramarin français même si l'Etat comorien et l'Union africaine le contestent.
A Mayotte, c'est M. Le Préfet Derrache qui représente Paris et le Conseil Général qui exprime la volonté populaire sortie d'urnes tricolores. Là où ça se complique ? C'est que la Constitution comorienne impose une présidence tournante. Deux présidents (Ngazidja et Anjouan) se sont succédé et l'on s'apprête à porter au pouvoir un Mohelien. La fois prochaine ? C'est obligatoirement un Mahorais qui doit accéder à la magistrature suprême ! Ca ne devrait pas poser de problèmes pratiques pour trouver des candidats éligibles car de nombreux habitants de l'archipel (Mahorais ou Comoriens) sont au moins bi-nationaux mais ça risque d'être un peu baroque. D'ici là le 976 sera devenu le 101ème département de la République Française ! On ne risque pas d'y voter pour la présidentielle comorienne !

En attendant en ce 15 octobre 2010, les deux candidats qui s'opposent farouchement sont Mouigni Baraka candidat "orange" et Abdouloihabi, candidat "bleu" et gouverneur sortant bien décidé à rester en place. Là où ça se complique, une fois encore ? C'est que l'un et l'autre font partie de la "Mouvance présidentielle", proches de Sambi le président sortant.  Compliqué ? Oui, mais finalement pas plus que les relations Coppé-Fillon en 2012 ou Aubry-Hollande au moment de leur primaire, non ?

Pour le moment, seul l'Albinos (surnom d'Abdouloihabi) fait campagne ici. Baraka, lui est en France visitant avec sa suite la Diaspora de Marseille, Rennes ou ailleurs mais il va rappliquer vite fait !  

lundi 16 mars 2015

Couturières "retouchées"

Grâce à mon copain Gérard, très efficace pour ce qui est du post-traitement sous Photoshop...A cause de ces maudits champignons qui proliféraient dans mon objectif, les hautes lumières étaient "cramées": reflets sur les visages, détails absents sur la tunique blanche. Bravo Gérard ! C'est du grand art !


dimanche 15 mars 2015

Washonaji (les couturières)

Moroni nous change agréablement de Mamoudzou, notre préfecture tropicale, ville sans grâce.

On se perd très vite, Caroline et moi, dans ses ruelles silencieuses sous le soleil. On croise quelques gamins de dix ou douze ans qui parlent un français fluide avec un plaisir évident. On y boit un thé au gingembre décoiffant sous les effigies de Sambi le président sortant et de l'émir du Qatar (un beauf à la Cabu à l'air pas commode et coiffé d'une sorte de torchon ). Dès nos premiers pas trois petites couturières nous invitent à visiter l'atelier et à les photographier.


Nous ne croiserons pratiquement pas de touristes durant notre séjour. D'après les notes griffonnées alors sur mon Moleskine "anno 2010" ? Tous les Comoriens alors rencontrés sont accueillants, souriants, franchement décontractés et souvent railleurs à l'égard des dirigeants de cette Union des Comores (autrefois RFIC: République Fédérale Islamique des Comores) dont le président Sambi est surnommé l'Ayatollah. Je comprends pourquoi en lisant "Albalad" quotidien comorien à capitaux du Golfe qui possède aussi une édition mahoraise. Sambi y trône en "une" nippé comme un théocrate iranien: turban vert, robe noire, barbe blanche bien taillée. Saoudiens, Iraniens, Lybiens, Emiratis se tirent donc la bourre aux Comores inondant l'archipel de pétrodollars et d'aide alimentaire. Ce n'est pas du goût de tout le monde ici.
Près de notre hôtel deux énormes bombages en français sur la corniche au-dessus du port: "UA,10 ans de crise " qui dénonce l'impéritie de l'Union Africaine (ex-OUA) et "Les Arabes dehors !" Contrairement aux éructations du FN en France, pas d'islamophobie ici: les Comoriens en ont juste "un tout petit peu marre" des ingérences diverses et de "l'aide" des uns ou des autres, rarement désintéressée et souvent détournée...
Pour l'anecdote ? J'achèterai dans un dukan (boutique en tôle) un sachet de dattes (excellentes) frappé du sceau vert du Royaume d'Arabie Saoudite et portant la mention "Gift of the Kingdom of Saudi Arabia  to The Comorian People"... 
 

mercredi 11 mars 2015

Karibu Ngazidja

Atterrissage assez acrobatique donc sur l'Aéroport International de Moroni en Grande Comore. Construit et géré par des Chinois de la PRC, l'aéroport fait la fierté des Comoriens qui vomissent leurs hommes politiques corrompus: les Chinois ont tout importé hormis le sable et l'eau, impossible de gratter pour alimenter un compte en Suisse... Bien joué ! On quitte l'aéroport et traverse un immense parking flambant neuf et totalement  désert  aux normes "UE" pour déboucher sur une route aux talus de pierre volcanique bien noire où l'on attend, sac au dos, un taxi...


Je prends ma première photo des Comores.Vive le format carré !
Pas très piquée la photo, bien que l'objectif soit un très honnête zoom Sygma 18-35 mm ? Je découvrirai assez vite pourquoi: il est farci de moisissure tropicale. Verdict ? Poubelle !
J'apprends que, sous le Tropique du Capricorne, il faut nettoyer, inspecter souvent boîtier et objectifs car ces cochonneries de champignons se logent partout (entre les lentilles, dans les viseurs, sur les capteurs des appareils numériques) M. Martinez, réparateur brestois, réussira à nettoyer  un objectif et une intervention en SAV sous garantie sauvera mon compact. Je finis par découvrir par hasard que l'odeur "assez forte" de mon coffre indien en bois de margousier n'éloigne pas seulement les insectes mais aussi les méchants fungi. J'y stockerai désormais ma quincaillerie.

dimanche 8 mars 2015

Journée de la Femme

C'est aujourd'hui ! J'en connais pas mal qui l'auraient saumâtre d'apprendre qu'on doit cette célébration à Vladimir Ilitch Lénine voulant honorer les femmes de Petrograd, fer de lance des manifestations de 1917 !

En hommage aux femmes de tous les pays, le sourire comorien d'une "femme debout" pour marquer cette journée... Ne lâche rien Chantal !


  

samedi 7 mars 2015

Comoros

Le 15 octobre 2010, je quitte pour la première fois Mayotte.

Contrairement à la plupart des collègues qui filent vers Madagascar et plus particulièrement Nosy Be, je choisis les Comores. Je comptais d'abord passer mes congés à Moheli, la plus petite et la plus roots des trois îles qui composent l'Union islamique des Comores, 3 îles de facto mais quatre îles pour les Comoriens pour lesquels Mayotte fait bien partie intégrante de l'Union...

Plus de places de bateau ou d'avion pour Moheli ! Je choisis donc de prendre un vol pour la Grande Comore (Ngazidja) attiré par le volcan du Karthala et par ce que m'avait dit Hussein, croisé au Centre de tri du Landy trente ans plus tôt . Hussein de Ngazidja "un peu" grillé suite à un des multiples coups d'état suite à l'Indépendance des années 70 avait réussi à rejoindre la France et y devenir postier. La dernière fois que je l'ai vu, c'était quelques années plus tard au Salon de la photo avec un beau Leica R en sautoir. Encore un photographe ! C'est lui qui m'a appris mes premiers mots de shingazidja (dialecte de Grande Comore). Arrivé à l'aéroport ? Caroline et moi découvrons un "magnifique" bimoteur à hélices tchécoslovaque Let-L 410 19 places. Une fois à bord ? Vague odeur de kérosène, toilettes inaccessibles ("on" a entassé les sacs à dos d'une douzaine de randonneurs devant la porte et maintenu la pile en place grâce à un filet), armature des sièges en tube de chauffage, un des panneaux du capitonnage de la carlingue s'est fait la malle etc.
Décollage laborieux puis, après un vol sans histoire au-dessus du détroit et d'Anjouan, posé "un peu" acrobatique à Moroni. Les deux pilotes un Africain et un grand slave blond qui a dû piloter des Mig dans une vie antérieure assurent, heureusement !


Ce modèle de Let à hélices tripales est un des plus anciens, il remonte au début des années 70 bien avant la chute du Mur de Berlin. (photo courtesy of Caroline Le Guirriec).

En rentrant à Mayotte, je découvre en lisant "Jeune Afrique" du mois qu'un Let identique s'est écrasé en août dernier à Bandudu en RDC alors qu'il allait se poser. L'enquête officielle conclut d'abord à une panne d'essence, laissant entendre que l'avion était "fula-fula" (une poubelle). L'épouse du pilote-directeur belge de la compagnie Filair affirme,elle, que l'appareil a été saboté son mari étant l'objet de menaces de mort et "Jeune Afrique" donne une autre version, à peine croyable: un passager transportait un petit crocodile vivant dans un sac de sport (Lacoste ? je n'ai pas pu m'en empêcher, désolé) et l'animal se serait échappé, provoquant la fuite de l'hôtesse et des passagers vers le poste de pilotage. Déséquilibré, l'avion serait alors tombé en vrille. Les enquêteurs auraient obtenu ces informations du seul ou de la seule survivant(e)...
J.A. affirme par ailleurs que le croco qui n'était pas tout à fait mort, lui, aurait été occis à coups de machette par les sauveteurs. Pour ceux qui croient je galèje ? L'article de J.A. est toujours accessible sur la Toile !